Quand j'étais petit, j'avais la ferme conviction que les gens célèbres n'étaient pas de vraies personnes. Qu'ils ne s'animaient que devant une caméra ou un parterre de spectateurs. J'imaginais qu'ils étaient des sortes de robots, des pantins sans âmes, aux ficelles tirées par je ne sais qui. Je n'ai jamais réussi à m'enlever totalement cette impression de la tête. Hé hé, je le sais bien, moi, qu'on ne sort Tom Cruise de son écrin que pour l'envoyer bondir sur le canapé d'Opah Winfrey et afficher son sourire rutilant devant les cinémas lors des premières de ses films. Tout ça n'est évidemment pas le fruit de sa volonté, puisque personne avec un crédit sur le dos et des bouches à nourrir n'agirait ainsi.
L'incident impliquant donc Will Smith, sa femme et Chris Rock, lors de la prestigieuse cérémonie des Oscars 2022 me fit donc un effet terrible et renversa toutes mes certitudes. Je ne reviendrai pas ici sur le bien fondé de son geste (une gifle techniquement parfaite, concédons-lui au moins ça). Je ne le condamnerai pas ni ne l'encenserai. Tous les savants et les pères la morale du net ont déjà longuement discouru sur cette histoire, pour affirmer que Will Smith est le symbole du patriarcat, qu'il prouve que la virilité est encore de ce monde ou que rien ne justifie la violence.
Moi, j'ai vu un homme qui a tout, des millions à ne pas savoir qu'en faire, une excellente réputation, un beau passé et un bel avenir, un prix peut-être à se voir remettre, qui, en une fraction de seconde, emporté par une saine colère, décide de mettre tout ça sur le tapis pour aller punir celui qui vient de souiller l'honneur de sa femme. Il savait que les images seraient vues et revues partout dans le monde, qu'un torrent de merde allait s'abattre sur lui pour fustiger sa réaction, je le concède, excessive. Que sa carrière était probablement finie au moment où il posait la main sur Chris Rock.
Je n'y ai pas vu, comme certains, l'attitude du mâle alpha veillant sur sa femelle, mais un pur acte de haine et d'amour que tout le monde, un prix Nobel y compris, aurait pu avoir en pareille situation. Will Smith, devant le monde entier, parce que l'être aimé était attaqué, a déposé le masque de cire que portent les célébrités dès qu'une caméra apparaît, et a dit "voilà qui je suis, et allez tous vous faire foutre".
J'ai tendance à penser que ce qu'on a vu en pleine lumière était la part la plus sombre de l'acteur. Qu'il n'y a rien de pire chez lui que cette violence mal contenue. Qu'il n'est pas le genre de type à mettre ses doigts dans une petite fille ou à violer une femme. Et cette lumière de folie qu'il avait dans les yeux quand il a crié à Chris Rock de ne pas mettre le nom de sa femme dans sa bouche a suffit à me le rendre sympathique. Ce jour-là, pour moi, Will Smith, est devenu un être humain avec ce que cela implique de qualités et de défauts.
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