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Épouvante ? Thriller ? Roman de société ? C'est à vous d'en juger.
1959. Louis Thiviers, jeune carrier de 24 ans, est retrouvé au milieu des cadavres de sa famille, nu, couvert de sang et blessé par le fusil de son père. Déclaré irresponsable, il échappe à la guillotine et est interné à l'hôpital psychiatrique pour fous dangereux Saint-Mathurin, tenu d'une main de fer par l'autoritaire médecin-chef Georges Ducourret. Une nouvelle infirmière, Sophie Lachaux, se prend d'intérêt pour ce garçon doux, beau comme un ange et totalement illettré. Comment Louis pourrait-il être l'auteur du crime abject dont on l'a accusé ?
La réponse à cette question se trouve peut-être au fond de cette carrière de pierre, où Louis prétend avoir fait la pire des rencontres, un dimanche. Un dimanche... le jour du Seigneur.

Avec ce livre à ne pas mettre entre toutes les mains, l'auteur de La chambre de lactation et Psyché continue son exploration des recoins sombres de l'âme.

Certains des aliénés cachaient bien leur pathologie mentale, et on n'eût point soupçonné qu'ils étaient fous en les croisant dans la rue, mais à un moment ou un autre, dans leur discours ou dans leur comportement, leur manie surgissait. Leur pensée faisait des détours, formait des écheveaux, rencontrait des impasses. Bref, ils étaient fous.

Il ne resta bientôt plus à Sophie qu'à rencontrer un dernier insensé. C'était aussi le dernier arrivé à Saint-Mathurin, comme le précisa l'infirmière-cheffe. Il avait d'abord fait un séjour en prison, où il avait subi nombre de mauvais traitements de la part des matons et des détenus. Au terme d'un procès assez médiatisé, la Justice était passée et l'avait jugé irresponsable. Ici, il était un peu mieux loti, avec une cellule pour lui tout seul. Il n'était là que depuis quelques semaines, mais c'était déjà la coqueluche du docteur Ducourret. Le psychiatre espérait devenir célèbre grâce à ce cas qu'il jugeait exceptionnel. Il s'imaginait même remporter un prix Nobel de médecine et, pourquoi pas, laisser son nom à une maladie, comme l'avait fait ce chanceux Alois Alzheimer.

Quel était cet homme encore plus fou que les autres ? S'était-il limé les dents pour ressembler à un vampire ? Mangeait-il de la chair humaine et buvait-il le sang à même la jugulaire des vierges ? Sophie était effrayée autant qu'intriguée par ce « cas exceptionnel », et fut déçue autant que fascinée par le jeune homme tout à fait banal assis dans sa chambre devant un pupitre d'écolier.

Il était blond, avait environ vingt-cinq ans et était affligé d'une légère scoliose, bien qu'il ne fût pas longtemps allé à l'école comme Sophie l'apprit ensuite. D'une main aux longs doigts fins, il tenait un stylo-plume, de façon maladroite. De l'autre, il ne cessait de rabattre sur le côté la mèche de cheveux qui le gênait. L'air concentré, il traçait des cursives sur un cahier. Son nez grec tombait sur des lèvres pincées par la réflexion, mais pulpeuses. Des lèvres de fille. De profil, il était très beau, et lorsqu'il se tourna vers Sophie et que ses yeux d'un bleu de lagon se braquèrent avec intensité sur elle, elle crut qu'il s'agissait d'un ange ayant perdu ses ailes. Fou, ce jeune éphèbe ? Cette charmante œuvre de la nature ? Comment était-ce possible ? Nulle lueur d'insanité mentale ne brillait dans ce regard cristallin.

« Bonjour Louis. Comment sont vos S ?

– Bonjour, madame Lavilany. Je sais pas. Vous en pensez quoi ? »

L'infirmière-cheffe se pencha sur l'épaule du jeune homme. Elle parut humer son odeur. Elle ne paraissait pas non plus insensible au charme de ce garçon qui eût pu être son fils.

« Ma foi, ce n'est pas trop mal. Vous apprenez vite. C'est étonnant.

– Ici, j'ai rien d'autre à faire qu'apprendre. Qui c'est, cette jeune fille ?

– Louis, je vous présente notre nouvelle recrue, Sophie Lachaux.

– Bonjour madame.

– Mademoiselle ! » corrigea Sophie.

Elle rougit de nouveau. D'aussi loin qu'elle s'en souvînt, deux choses la desservaient : la vitesse et l'intensité avec lesquels son visage s'empourprait à la moindre contrariété, dès que quelqu'un la mettait dans l'embarras, et ce trait de caractère qui la poussait à parler avant de réfléchir, d'une charmante spontanéité selon ses prétendants, mais d'une navrante ingénuité d'après feue sa mère.

Elle tâcha de retrouver une contenance en enchaînant par une banalité.

« Vous apprenez à lire et écrire ?

– Oui. C'est grâce à madame Lavilany. On m'a laissé conserver la bible de maman. Je la connais presque par cœur, mais j'ai hâte de pouvoir en savourer chaque mot. »

C'est seulement à ce moment que la jeune femme remarqua le crucifix fixé juste au-dessus de la tête de lit, ainsi que les représentations de la Madone punaisées au mur.

« J'adore les livres, dit Sophie. Je lis beaucoup, énormément, surtout des romans fantastiques ou de science-fiction. Jules Verne, H.G. Wells, Edgar Allan Poe, Mary Shelley... Maupassant ! Dernièrement, j'ai découvert un auteur américain : John Ronald Reuel Tolkien. Je vous prêterai les livres de ces auteurs, si vous le voulez. Il serait dommage de vous limiter à un seul livre.

– Mais celui-là est le plus important. Le plus essentiel. C'est la parole de Dieu transcrite par les hommes pour les hommes.

– Je suis désolée, Louis, je ne crois pas en Dieu.

– Oh... Soyez pas désolée, mademoiselle Lachaux. Lui croit en vous.

– Pour moi, la Bible n'est qu'un recueil de contes. De jolis contes, mais rien que des histoires inventées.

– C'est votre avis, et je le respecte. »

Quand les deux femmes furent sorties de la chambre, Sophie exprima son étonnement.

« Ce garçon n'a pas l'air fou du tout, à moins qu'on considère que croire en Dieu est une forme de maladie mentale, et alors il faudrait enfermer la moitié des gens. C'est la douceur incarnée.

– Méfiez-vous de votre impression. Louis Thiviers a tué toute sa famille dans un accès de démence. Son père, sa mère et sa sœur. Ne vous laissez pas abuser par son apparence angélique.

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