top of page
Ainsi tuent les Hyènes v3.jpg

Terre Cuite du Nord, minuscule pays francophone d'Afrique centrale où cohabitent tant bien que mal deux ethnies. Le terrible génocide perpétré sur les Sombrés par les Awhilis arrache leur innocence à Trésor et à sa sœur cadette, Félicité. Parvenus à fuir les massacres, les enfants se réfugient au Congo. Après avoir échoué dans un orphelinat, ils sont adoptés par un couple de Français qui ne semble guère avoir la fibre parentale.
Mais comment se reconstruire quand on a été témoin de l'indicible ? Comment reprendre une vie normale quand le désir de vengeance vous taraude ? Et comment faire à nouveau confiance, quand sous le masque se cache peut-être une Hyène ?

Un soir de février, il entendit des pleurs provenant de la chambre qu'il partageait avec Félicité. Sa sœur tentait de les étouffer. Il souleva délicatement la couverture qui épousait son petit corps. La fillette enfouit son visage dans ses draps, comme si elle avait honte de sa faiblesse.

« Qu'est-ce qu'il y a ? fit doucement Trésor.

– Rien, laisse-moi tran-an-quille ! hoqueta la fillette.

– Alors tu pleures pour rien, et ça c'est vraiment bête. »

Félicité était une enfant fragile. Née légèrement prématurée, elle s'était mise à pleurer dès sa sortie du ventre maternel et n'avait plus arrêté depuis. Bébé, elle avait failli rendre folle sa mère en vagissant jour et nuit. Le médecin de famille n'avait rien trouvé d'anormal. Selon lui, cette petite pleurait parce que le monde la terrifiait et qu'elle craignait qu'on l'abandonne. En Occident, on l'eût qualifiée « d'hypersensible ». Encore maintenant, Félicité fondait en larmes à la moindre contrariété, au plus léger reproche, et filait se cacher des regards.

« Mes amies veulent plus me parler, avoua-t-elle après quelques chatouilles. Elles disent que je pue.

– Alors ce ne sont pas vraiment des amies, non ? »

Il n'y avait pas si longtemps, dans la cour de l'école, tous les gamins jouaient ensemble, sans se soucier de leur appartenance ethnique. Ce bel exemple de tolérance s'était écroulé. Les sottises des adultes avaient sapé les cerveaux malléables des enfants. Désormais, les écoliers sombrés et awahilis ne se mélangeaient plus. Les premiers, en plus petit nombre, faisaient bloc contre les brimades des seconds. Ils reproduisaient les schémas de haine et d'exclusion qu'ils voyaient chez les adultes.

« C'est vrai que je pue ? demanda la fillette.

– Non. Enfin pas tout le temps. Que quand tu pètes. »

Félicité gloussa, entre deux reniflements. Trésor buvait le rire de sa sœur. C'était à ses oreilles la plus jolie des musiques, le plus enivrant des nectars. Il n'était pas bien vieux, mais il avait choisi. Son père avait raison. Ils devaient partir d'ici le plus vite possible, se réfugier dans les collines verdoyantes de l'Ouest, chez Papé et Mamé. Glaoundé, ce n'était plus un endroit pour une petite fille sensible. Ce n'était pas un endroit pour les enfants. Ce n'était même plus un endroit pour les hommes.

bottom of page