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L'huissier de justice, les vautours et l

Maître Le Bian et sa maîtresse Céline partent en week-end torride dans les Grands Causses, à bord du cabriolet flambant neuf de l'huissier de justice . Mais après une grave sortie de route, l'escapade romantique va se transformer en cauchemar.

AVERTISSEMENT : cette nouvelle est fortement déconseillée aux estomacs fragiles et aux âmes prudes. Certaines scènes pourraient heurter la sensibilité des lecteurs les plus délicats.

Maître Arnaud Le Bian arrêta sa Ford Mustang flambant neuve sur le bas-côté et actionna la poignée, puis le bouton, qui permettaient au cabriolet de décapoter automatiquement. Il pesta mentalement. Les Américains construisaient les voitures les plus viriles qui soient, mais ils avaient encore quelques leçons à recevoir des européens en matière d’ingénierie automobile, et en particulier des Allemands. Le Bian avait un collègue, Bastien Pantalé, dont la capote souple de sa BMW série 2 pouvait se rétracter jusqu'à cinquante kilomètres heure. Pantalé ne s'était pas privé de le charrier. Cela dit, l'opération prenait vingt secondes chez l'allemande quand elle en nécessitait huit de moins chez l'américaine, et ça, quand il faisait un temps aussi magnifique, c'était un avantage non négligeable. Enfoncé, Pantalé !

Le Bian redémarra pied au plancher en faisant crisser les larges pneus du cabriolet sur les gravillons. Le vent dérangea la crinière de lionne de la ravissante créature assise sur le siège passager, les pieds posés sur le tableau de bord de la muscle-car. Pour un peu, Le Bian aurait oublié sa présence. Céline Salazar était une femme aussi discrète à la ville qu’exubérante au plumard. Sur l'oreiller elle lui avait crié des cochonneries qui eussent fait rougir un routier. La belle était plongée dans le livre d'un certain Laurent Gounelle, dont la couverture chamarrée présageait plutôt des trésors de guimauve que de lourdes atmosphères.

À l'hôtel, Le Bian en avait feuilleté quelques pages, en diagonale. Ce n'étaient qu'aphorismes mielleux et digressions philosophiques de comptoir, selon lui. « La plupart de nos peurs sont des créations de l'esprit. La seule façon d'en être convaincu, c'est d'aller les affronter. » Tu parles d'une connerie ! Ça fonctionnait peut-être pour les gens qui avaient peur des bananes pourries ou des pigeons, mais Arnaud Le Bian, lui, avait une trouille viscérale de manquer d'argent, et il n'avait aucune envie de devenir pauvre comme Job afin de se confronter à ses angoisses.

« Alors ma belle ? Tu crois que quelque chose là-dedans peut t'être utile ? fit Le Bian assez fort pour couvrir le hululement du vent.

– Dans quoi ?

– Ton bouquin. Il prétend savoir mieux que toi ce qui peut te rendre heureuse, non ?

– Oui, ça m'apporte beaucoup. On prend pas la vie par le bon côté, Arnaud. On n'accorde pas assez d'attention aux richesses du cœur. Il m'a fait prendre conscience que le bonheur est à l'intérieur de nous-mêmes, et pas à l'extérieur.

– Mhhh, mhhh... c'est sûrement vrai. À force de fouiller à l'intérieur de toi, ma belle, j'ai fini par le trouver, le bonheur.

– Oh ! t'es bête... » gloussa la jolie blonde en piquant un fard d'écolière.

Arnaud Le Bian serra les dents. Il lui aurait bien rétorqué que sur le strict plan du quotient intellectuel, elle était sans doute bien plus conne que lui, mais Céline Salazar était une experte de la baise... une chaudière insatiable, l'équivalent féminin de sa Ford Mustang V8 de 5L – qui lui coûtait en champagne ce que la Mustang consommait en essence –, et il devait ménager sa susceptibilité outrancière. Au moins jusqu'à ce qu'il se fût lassé de son corps de sirène.

Comment une femme de trente-deux ans qui avait pondu trois chiards avait-elle pu être aussi épargnée par les stigmates de la maternité ? Pas une vergeture, pas un capiton, pas un bourrelet disgracieux. Elle était aussi lisse qu'une gamine de quinze ans – et pas beaucoup plus futée. Ses trois gamins avaient tiré sur ses seins, et pourtant, autant qu'il pouvait en juger – Arnaud et Céline ne se connaissaient que depuis trois mois –, sa poitrine était toujours aussi ferme et généreuse. Il les avait surnommés l'Etna et le Stromboli. Céline gloussait comme un dindon lorsqu'il les appelait ainsi.

« Je t'aime, Céline, dit Arnaud Le Bian en passant la cinquième. Quand je suis avec toi, je suis toujours au bord de l'infarctus. »

C'était avec ce genre de déclaration à l'emporte-pièce que Le Bian séduisait toutes ses conquêtes, et c'était avec une tirade comme celle-ci qu'il avait mis dans son lit Céline, quelques heures seulement après qu'il eût tendu à son mari une relance de recouvrement pour une créance de huit mille euros.

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