Il est petit par la taille, mais a un cœur gros comme ça. Martial Boucherie a connu la gloire dans la discipline olympique du lancer de nain, en compagnie de son partenaire et meilleur ami : Léon Martingale. Sa vie n'a pas été un long fleuve tranquille. Il vient se livrer sur notre plateau. Merci de l’accueillir comme il se doit...
... Tout de suite après la pub.
Martial dit Léon Martingale était bien incapable de faire du mal à qui que ce soit, lui aurait-on mis le canon d'un revolver contre la tempe. Il s'était débarrassé de tous ses vices, de toute sa colère accumulée avec les privations, les coups, les humiliations... Le seul lien qu'il avait gardé avec ses années d'errance, c'était sa collection de billes qu'on trouve dans les cartouches d'encre pour les stylos à plume. Il en possédait plus de quatre mille, toutes rigoureusement identiques, et on avait beau lui dire que c'était une collection qui menait à rien, il demandait à tous ceux qu'il connaissait de lui garder leurs billes de cartouches d'encre, mais comme plus personne ou presque utilisait de stylo à plume, sa collection augmentait plus beaucoup.
Ça l'apaisait, pourtant, toutes ces billes qu'il gardait dans une bouteille de verre. Léon était grand, beau et fort, un putain de discobole, une gravure de musée, et pourtant il avait été aussi malheureux que moi. Quand personne ne vous dit jamais qu'il vous aime, absolument personne, eh bien c'est difficile d'avoir de l'estime pour vous-même. Personne ne peut croire qu'il est digne d'être aimé si sa mère n'en a pas fait le centre du monde.
C'est pour ça qu'avec Léon, on se disait mutuellement qu'on s'aimait, sans pudeur, comme des filles, même que les gens au premier abord nous prenaient pour des pédés. On était frères de casque, on avait frotté nos bites, on avait mêlé nos foutres dans le même vagin, mais on était pas pédés, non. Je n'ai rien contre les pédés, hein. Comment quelqu'un comme moi, que la nature a fait différent, pourrait être raciste, xénophobe, ou homophobe ?
Le journaliste dit nous nous écartons du sujet. La journaliste dit le temps de cerveau disponible de la ménagère de moins de cinquante ans ne doit pas être gâché par des digressions. Tenez-vous en pour l'instant à retracer votre amitié avec Léon.
Martial s'incline ouais, ouais, il a bien envie de faire disparaître le sourire lunaire du journaleux de sa face de bobo parisien, mais son éditeur lui a dit de la jouer débonnaire, parce que quand même, son livre a été imprimé à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires et qu'il va bien falloir écouler tout ce papier imprimé, et qu'on n'a pas les moyens de lui faire de la pub dans le métro et sur le cul des bus. Il veut bien que tout le monde sache combien Léon Martingale était un mec génial, non ? Alors qu'il s'écrase, qu'il suce la grosse bite du journaliste s'il lui demande, qu'il décolle les étrons canins des semelles de ses Sebago avec sa langue s'il lui demande, qu'il fasse le salut hitlérien s'il lui demande... du moment qu'il fait tout ça hors caméra. Dans le show-bizness et le milieu germanopratin, on est coutumier de ces petits arrangements, et le monde ne s'arrête pas de tourner quand une langue passe sur un cul.
Le journaliste fait Martial ?... L'athlète miniature sort de son silence et retourne sur le stade où son destin a pris un virage. Il dit Léon m'a lancé le costume bariolé qu'il tenait et a dit essaie-le. Je l'ai déplié. Sur le buste s'étalait le fameux dessin des deux taureaux en rut qui se foncent dessus. Le logo de la boisson énergétique Red Bull.
Je lui dis qu'est-ce que c'est que ça ? Il dit c'était le sioute de mon ancien partenaire, Roger. Il s'est tassé les vertèbres, pendant le dernier entraînement. Il a dit qu'il arrêtait tout. De toute façon, il était assez mauvais. Toi, t'es un peu plus petit, mais un peu plus large. Le sioute devrait t'aller.
Je lui demande mais qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ça ? c'est pas carnaval... Il dit tu n'as pas entendu parler de la compétition Air Dwarves Festival ? C'est le nouveau sport extrême sponsorisé par Red Bull. Ça se pratique par équipe. Il y a le lanceur et le lancé. Le gunner, et le rocket man. Tu, tu ferais un parfait rocket man. Ça se voit à ta façon de te tenir, les épaules en arrière, la tête bien droite, les pieds collés. Il dit je veux que tu deviennes mon partenaire et qu'on remporte l'Air Dwarves Festival. Il dit j'ai un pressentiment, je pense que séparément on n'est pas grand-chose, à peine plus que moins que rien, mais ensemble on peut faire de grandes choses.