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Le Transastral ZX08.jpg

 Un petit génie de huit ans et un handicapé mental de quarante-cinq ans se lient d'amitié. Martial Lupin prétend avoir construit une soucoupe permettant de voyager sur des mondes situés par delà les gouffres spatiaux. Le nom de l'engin : le Transastral ZX08.

C'était le premier jour des vacances scolaires et je savourais ce répit en sillonnant les chemins vicinaux entourant Carensac sur mon vélo Gitanes à trois vitesses. J'ai toujours eu une capacité d'émerveillement très développée ; je pouvais me passionner aussi fort pour la physique des trous noirs situés aux confins de notre galaxie que pour les fractales d'une toile d'araignée édifiée dans un buisson de mûres. Une goutte d'eau, si l'on dispose des bons instruments, recèle autant de mystères que tous les océans.

On m'a souvent posé la question : est-ce que je crois en Dieu ? Tant que l'existence d'une entité suprême, d'un ingénieur cosmique, ne pourra être démontrée scientifiquement par une expérience reproductible, je ne me prononcerai pas. Mais enfin, quand on se plonge dans la mécanique quantique, au cœur de l'atome, qu'on fait vibrer les cordes qui sont peut-être les fibres même de la réalité, les esprits les plus brillants et rationnels en viennent à être ébranlés. Einstein ne disait-il pas que « Dieu ne joue pas aux dés » ?

Il y a un code bien caché, présent dans tout l'Univers, à l'abri des intelligences les plus primitives, et qui paraît ne pas avoir été mis là par hasard. Il y a le nombre d'or, que l'on nomme également la proportion divine ; Pi, qui pour autant qu'on le sache est un nombre dont les supercalculateurs les plus puissants ne sont pas encore venus à bout ; les nombres premiers ; la suite de Fibonacci ; les nombres parfaits. On trouve ces nombres magiques et ces proportions partout, des étoiles les plus lointaines jusqu'à la coquille des nautiles, le cycle de reproduction de certaines cigales et les visages que nous trouvons agréables. Il n'y a pas de coïncidences dans la nature.

Parfois j'enfourchais mon vélo et je cherchais une grosse fourmilière, avec beaucoup d'activité. En observant ces insectes que l'amour, la haine, l'hédonisme, la religion ou la fierté n'animent pas, je pensais être tout près de la vérité, à tout le moins des bonnes questions.

Je revenais donc d'une de mes baguenaudes et j'avais noirci quatre ou cinq pages de relevés statistiques sur les allées et venues d'une colonie de fourmis que j'avais observée tout l'après-midi. Je n'étais plus qu'à quelques centaines de mètres de chez moi et décidai de couper à travers champs afin de m'épargner un long détour. Je longeai une propriété, ce qui était un mot bien ronflant pour un terrain grillagé tout en longueur, jonché de carcasses de voitures rouillées, de gazinières, de réfrigérateurs et de lave-linges désossés.

Je m'arrêtai en tirant trop fort sur les freins et faillis passer par-dessus le guidon de mon biclou.

Au milieu de cet entassement de déchets électroménagers, une large zone avait été dégagée. Au centre de cette clairière reposait un dôme qui tranchait par sa couleur. C'était une demi-sphère parfaite, une manière d'igloo qui paraissait entièrement fabriquée en bois. Il s'agissait d'une vision assez insolite pour couper mon envie pressante d'uriner.

Je laissai tomber mon vélo, intrigué, et m'approchai du grillage. J'entendis trois ou quatre coups de marteau, avant que le dernier ne fût suivi par un hurlement de douleur. La porte de l'objet non identifié s'ouvrit et la silhouette rubiconde de Martial Lupin apparut. L'homme que j'avais rencontré quelques jours auparavant au symposium de sculpture se suçait le pouce, sa face érubescente tirée par un rictus de douleur. Une humidité couvrait ses gros yeux ronds de langoustine. « Aïe, aïe, aïe, aïe, aïe ! Cette fois je me suis pas loupé ! Pan sur le doigt ! Ouh ! Ouh ! » gémit-il, et il donna un violent coup de pied dans un frigo antédiluvien.

C'est alors qu'il se rendit compte de ma présence. Un léger sourire devait flotter sur mon visage – car enfin la scène était comique – et Lupin m'apostropha : « Tiens ! C'est toi ? Tu trouves ça drôle que je m'aye fait mal ? »

J'essayai de composer un air compatissant. « Fais voir », lui dis-je. Il s'approcha et me montra son pouce. L'ongle était violacé et il devrait peut-être faire percer l'hématome avec une aiguille pour soulager la pression. Tuer le rat, comme disait ma mère.

« Bah, c'est rien, dis-je. Tu vivras.

– Ah, super ! Ça ça m'aide beaucoup, merci...

– Les doigts ça fait toujours très mal. C'est parce qu'ils sont fortement innervés, ajoutai-je.

– Innervé, innervé... Sûr que ça m'innerve ! »

Je désignai l'igloo d'où il venait de sortir. « C'est une nouvelle sculpture ?

– T'as des questions bêtes, toi. Après on dit que c'est moi l'idiot... Tu vois bien ce que c'est : une soucoupe. Au fait, comment tu t'appelles ? Moi c'est Martial. Martial Lupin. Lupin, comme le cambrioleur.

– Daniel Foucaud. Foucaud comme... le pendule, sauf que ça s'écrit pas pareil. Elle fonctionne ta soucoupe volante ?

– On peut pas dire que c'est vraiment une soucoupe volante. Mais sûr qu'elle fonctionne. Bon, comme elle est pas tout à fait terminée, je suis pas allé bien loin... Jusqu'au Mexique. Enfin je crois que c'était le Mexique. C'est bien au Mexique qu'il y a des cactus ?

– Il y a des cactus dans tous les milieux désertiques.

– Ben c'était un désert avec des cactus, mais c'était pas le Cantal.

– J'aimerais bien visiter ta soucoupe. C'est possible ? »

Je ne me moquais pas de lui. Je l'ai dit, j'avais suspecté chez ce bonhomme mal dégrossi un véritable talent artistique. J'étais poussé par la curiosité, je voulais voir à quoi ressemblait l'intérieur de l'engin. Ma curiosité me perdrait, comme me plaisantaient souvent mes parents avec une pointe de fierté. « Ben tu peux venir demain, si tu veux, répondit Lupin. Moi j'vais tremper mon doigt dans le vinaigre. Ça me lance ! À demain p'tit gars ! »

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