Un conte moderne pour les enfants (et les adultes) qui aiment se faire peur. Corentin vit dans une famille conflictuelle qui emménage dans une nouvelle maison située à la campagne. Timide et solitaire, le petit garçon a bien du mal à s'habituer à ce changement de cadre, d'autant que les relations entre ses parents sont assez tendues depuis que papa a eu "une aventure". Sous la maison s'étend un "vide sanitaire", un espace sombre et lugubre où n'importe quel monstre peut se tapir, n'attendant que la visite d'un enfant trop curieux.
Juste sous son lit à mezzanine, il y avait une sorte de découpe dans le parquet : un carré d'environ soixante-dix centimètres de côté.
– Qu'est-ce que c'est, ça ?
– Ça ? C'est la trappe pour accéder au vide sanitaire.
– C'est quoi un vide sanitaire ?
– Ah ! c'est que la visite est pas encore finie, bonhomme !
Ils rebroussèrent chemin. Dans le garage se dressait une porte, coincée entre deux piles de cartons, que Corentin n'avait pas remarquée à cause du désordre qui y régnait. Papa joua plusieurs fois avec un interrupteur en porcelaine, et une ampoule nue finit par cracher un voile blafard sur des profondeurs auxquelles menait un escalier aux marches branlantes.
– Tu viens, Coco ? l'invita papa en commençant à descendre. Ou t'as la pétoche ?
Corentin avait en horreur les endroits obscurs. Il n'était pas encore prêt à se passer de veilleuse. Mais son père était immense et fort, et il ne risquait rien de lui arriver tant qu'il resterait avec lui.
– Fais attention à la troisième marche, elle penche un peu vers l'avant, prévint-il.
Corentin descendit l'escalier avec un luxe de précautions. Une forte odeur d'humidité et de... de quelque chose de plus âcre, de malsain, l'assaillit. Cela lui rappelait un peu celle de la salade laissée à pourrir dans son sachet.
Une autre ampoule à filament baignait d'une lumière anémique une cave aux murs chaulés de la taille de sa chambre. Une chaudière à charbon gisait éventrée, mangée par la rouille. Une chaudière à gaz, plus moderne mais avec tout de même quelques années de service, s'accrochait au mur comme un énorme pou. Maman avait rangé dans un râtelier une quinzaine de bouteilles de vin, dont un Saint-Émilion de 1979. Elle aimait la bonne chère, et spécialement le bon vin. Il lui arrivait parfois d'en déguster deux ou trois verres quand elle était seule ; mais jamais elle n'aurait osé ouvrir les meilleurs crus sans son mari. Enfin, c'était ainsi avant toute cette vilaine histoire qui avait semé la zizanie dans la famille.
Au fond de la cave se logeait une alcôve où la lumière de l'ampoule ne pénétrait presque pas. Corentin plissa les yeux pour essayer d'en percer le mystère. Une ouverture, située à un mètre de hauteur, large d'un mètre et moitié moins haute, plongeait dans des ténèbres engloutissant des tuyaux en cuivre vert-de-grisés. Il s'approcha un peu, et une bouffée d'air fétide lui gifla le museau.
– Et là-dedans, c'est quoi ?
– C'est le vide sanitaire. Ça sert à isoler les maisons de l'humidité, et à cacher la tuyauterie. Ça fait toute la surface de la maison, sauf le garage.
– Et y a quoi dedans ?
– Dedans ? Y a rien.
– Et ça va... sous... sous ma chambre aussi ? s'étrangla Corentin.
– Ben oui, puisque les seuls accès au vide sanitaire, c'est ici et par la trappe qui se trouve dans ta chambre.
Corentin ouvrit des yeux exorbités. Sous sa chambre, il y avait un « vide sanitaire ». Rien que le nom le terrifiait. Vi-de-sa-ni-tai-re. Un endroit froid et obscur, où rien ne vivait à part de grosses araignées et des cafards. Vraiment ? En était-il si sûr ?