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  • Photo du rédacteurFrédéric Soulier

Les bikers des bacs à sable

Mon retour sur Nous rêvions juste de liberté, une lecture qui a été aussi agréable qu'un lavement au white spirit. Bon, j'ai lu bien pire, mais j'ai surtout lu bien meilleur et authentique, y compris chez des auteurs indépendants. On suit donc l'itinéraire chaotique d'Hugo, jeune homme au tempérament rebelle, mal aimé de sa famille, en manque d'affection, une affection qu'il va trouver auprès de trois blousons noirs de son école catholique. Grâce à eux, Hugo, qu'on surnommera désormais Bohem, va découvrir grâce à eux la moto, les joies du vol à la tire, et l'homosexualité refoulée camouflée sous des airs virils. Oui, parce qu'on ne me dise pas qu'il n'y a qu'une histoire d'amitié entre lui et Freddy, le chef de la bande. Je pense même pas à ma femme autant qu'Hugo pense à son pote. J'ai passé mon temps à me demander quand ces deux-là allaient s'enfiler. Où se déroule tout ça ? On en sait trop rien. La France, les États-Unis, la Serbie ?... Si vous avez déduit quelque chose des quelques noms de lieux lâchés ici et là, merci de partager l'info. Les ravis de la crèche argueront "tu comprends rien, c'est fait exprès, c'est pour rendre le discours universel, blablabla", ce à quoi je répondrai "ingénue créature, tu ne vois donc pas que c'est une habile stratégie permettant de s'épargner tout travail de documentation ?" Et ouais, ce qui fait la force d'un roman comme La route, ce sont ces lacunes qui se justifient totalement et contribuent à la force du propos. Ici, elles m'ont empêché d'entrer dans l'histoire. C'est d'ailleurs une pratique qui tend à se généraliser, n'est-ce pas Frank Bouysse et Sandrine Collette, quelles sont vos excuses à vous pour ne pas situer vos histoires ? Le coup du conte, vous allez nous faire gober ça longtemps ? Les écrivains ne deviendraient-ils pas un poil faineasse et pressés de rentabiliser leur temps d'écriture ? La marque d'un bon écrivain, comme Stephen King, oui oui, tu peux grincer des dents, c'est de réussir en quelques mots à vous immerger dans une époque, une atmosphère, un contexte (lisez 22.11.63, vous comprendrez ce que je veux dire). Oui, parce qu'on ne sait pas trop non plus quand Nous rêvions juste de liberté se déroule. Les années 60 ? Les années 2000 ? Bah, on n'est plus à ça près... Bref, ça n'a ni goût ni gouniasse, comme on dit par chez moi, tout sonne faux, on est dans un épisode cheap de Sons of Anarchy où on aurait remplacé les truands motocyclistes par des gamins qui jouent aux bikers. En toc. Parce que attention, on est censés avoir affaire à des mauvais garçons. Pas très éduqués, épris de libêêêêrté, pas avares d'aphorismes sur le sujet, ce qui plaît toujours à ceux qui ont toujours un bouquin de développement personnel dans le coin (y a qu'à voir comme ça s'est défoulé sur sa liseuse pour souligner tous les aphorismes ronflants distillés par le héros), nos motards en herbe s'expriment avec un langage familier de gamins qui ont arrêté l'école à dix-sept ans, et comme la narration est faite à la première personne, tout le bouquin est écrit sur le même ton. Pratique. Encore une fois, tu prétendras qu'avec ce parti pris, il est impossible de tendre vers la bonne littérature, qu'il est difficile de caser le terme « style » à propos d'un bouquin « popu », mais va donc déterrer Louis-Ferdinand Céline et François Cavanna pour leur demander leur avis sur le sujet... Ici, rien n'y fait, le héros a beau placer des « foutus » trucs, des « putains » de machin, des « satanés », des « bon sang de bonsoir » (véridique, ne laissez pas traîner ce bouquin près de vos enfants) et des « ma parole », on n'y croit pas. Il y a bien quelques noms d'oiseaux, quelques transgressions (nos mauvais garçons « font les pitres » sur leur motocyclette, vendent de la coke, volent, mais attention, seulement les plus pauvres qu'eux, et puis comble de la trashitude, le lecteur peu préparé apprendra au détour d'une page que leur bête noire reluque des magazines « vachement cochons »... Bon, rien qui ne saurait heurter le lectorat de l'auteur, faut pas déconner, on n'est pas chez Despentes ou Chuck Palahniuk, ici on nous donne des leçons de vie façon almanach Vermot... Du prédigéré, comme ça se vend par tombereaux en ce moment. Le sujet n'était pourtant pas mauvais ; je ne suis pas plus insensible qu'un autre à la noble quête de libêêêêrté et aux personnages marginaux ; j'exige seulement qu'on ne nous serve pas une soupe tiède et insipide, mais un mets délicatement relevé, ou qui vous arrache carrément la muqueuse à la toile émeri. Soyons honnête, il y a peut-être une bonne demi-page de littérature à sauver là-dedans. C'est peu. Avec cette œuvre, on est plus proche d'une de ces romances avec éphèbes épilés en couverture, calibrées pour émoustiller la ménagère qui souhaite se dilater le string, que du puissant roman initiatique façon Kerouac.


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