Je l'ai fait ! Je suis venu à bout de ces 900 pages comme j'aurais gravi l'Anapurna, mot après mot, coup de piolet après coup de piolet. J'espère que la métaphore te bouleverse. Je me suis levé à cinq heures du matin pour la trouver.
Dissipons tout de suite tout malentendu. Il s'agit là de l'un des bouquins contemporains les mieux écrits, les plus érudits que j'aie lus. Un des plus érudits ? te scandaliseras-tu, alors que ce bouquin est estampillé fantasy et se déroule donc par définition dans un monde imaginaire ? Eh ouais, on y reviendra, mais l'univers dans lequel prend place cette intrigue est tellement riche et cohérent que c'est l'impression que ça donne : que l'auteur est abonné à Nota Bene ou prof d'Histoire. Car si le Ciudalia du roman fait beaucoup penser à la Rome antique, on trouve aussi dans cet univers des elfes et des magiciens noirs (dans les deux sens du terme).
Je disais donc que Jaworski est une fine plume. Je te prie de me croire que je n'exagère pas. C'est une sorte de Flaubert ou de Balzac moderne, ni plus ni moins, à filer des complexes à tous les écribouilleurs. Et pourtant, même si son style oscille entre le truculent et le ciselé, s'il est un ravissement de chaque instant, que la dialogues regorgent de vie, il a réussi l'exploit d'immensément m'emmerder. Et si je peux pardonner beaucoup de choses à un livre, pas celle-là. Entre le début et la fin, tous les deux épiques, le lecteur doit traverser un large océan d'ennui à travers un road-trip inutile et soporifique : comme le héros en disgrâce, on voit du pays, on rencontre des personnages, mais ceux-ci n'ont pas vraiment d'importance. Rien que des silhouettes... Seuls le sont (et le resteront) quelques-uns des personnages que Jaworski a présenté dans les cent premières pages : Benvenuto lui-même, le podestat Ducatore, sa fille et Sassanos.
En fait, hormis les intrigues et manigances politiques qui sont tout le sel de ce bouquin, il ne se passe pas grand-chose. Ca parlotte, ça jacasse, ça coupe les cheveux en quatre, ça tortille du cul pour chier droit, et je ne parle pas uniquement des personnages, mais du narrateur lui-même.
C'est que Jaworski se documente, et il veut que ça se sache. Il te jette sans cesse à la gueule, presque à chaque ligne, son boulot de documentation qu'il essaie de faire passer pour des connaissances. Wikipedia dans une main, le dico des synonymes dans l'autre, voilà comment il bosse, m'est avis.
Le prologue est très représentatif. Il s'agit d'une bataille navale. Comme l'auteur est un bon forçat du verbe, il a potassé longuement, j'imagine, tout ce qu'il y avait à savoir sur le combat naval et le jargon de la marine (pas celle qui rigole comme une truie, mais la vraie). Tout y passe. En quelques pages vous saurez tout du vocabulaire de la marine à voile... Plus tard, c'est toute l'architecture d'un château que vous passerez en revue. Je le sais bien, j'ai la désagréable tendance à procéder de la même manière, c'est pourquoi quand on prétend écrire, il est nécessaire d'aiguiser son sens critique afin de non seulement identifier les faiblesses chez la prose concurrente, mais aussi les siennes.
D'autres fois, l'auteur est tellement obnubilé par le souci d'éviter les répétitions que c'est le dictionnaire des synonymes qui prend cher. Vous rêviez de connaitre toutes les façons d'appeler un chien un chien ? Lisez-donc Gagner la guerre.
J'ai été exaspéré par le verbiage incessant, oscillant sans arrêt entre l'admiration et l'ennui. Ferme ta gueule, Benvenuto, et raconte la suite, avais-je sans arrêt envie de crier à ce sympathique assassin.
C'est vraiment dommage. C'est un boulot de titan qui a été abattu pour ce roman. Au final, il souffre d'un scénario insipide (mais qu'on ne fasse pas dire ce que je n'ai pas dit : la thématique est géniale, il n'y a que ces 700 pages en trop qui sont indigestes) et de l'ego de l'auteur qui, à force d'essayer de prouver qu'il est bien le meilleur, en arrive à user la patience du lecteur.
Pourtant je peux pas faire moins que lui coller quatre étoiles.
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