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Quand vous observez votre reflet, il vous observe aussi.
Lors d'un mémorable repas de famille, Charles, dix ans, assiste à l'aliénation brutale de sa grand-mère Denise. Plusieurs années plus tard, devenu "créateur de contenu" et désormais connu sous le nom de Silex, il découvre un miroir sur pied dans le grenier de son aïeule. Mais le reflet que lui renvoie la glace semble animé de sa propre volonté et d'intentions malsaines. Sur quels abîmes de noirceur ouvre la psyché ?
Après 
La Chambre de lactation, Frédéric Soulier repousse une nouvelle fois les limites de la décence et du politiquement correct pour accoucher d'une oeuvre aussi noire qu'immonde.

AVERTISSEMENT : Psyché est réservé à des adultes consentants et aux lecteurs extrêmement avertis qui n'ont pas peur de naviguer dans les eaux troubles de l'âme humaine.

Silex se mit donc à courir dans ce Marseille qui lui était aussi familier qu'inconnu et lui demandait pour s'orienter une gymnastique mentale de chaque instant. Bon... Pour atteindre le commissariat de police, il fallait prendre à gauche, puis à droite et encore à droite, et non à droite, à gauche et encore à gauche. Chaque pas ramenait ses testicules dans leur sacoche. Son cœur battait la chamade, oui, comme dans un ebook autoédité. Il allait peut-être crever d'un accident cardiaque à vingt-deux ans, finalement.

Il n'eut pas à aller jusqu'au commissariat. Une bagnole de flics le dépassa et s'arrêta à sa hauteur. Deux agents de police le scrutèrent tandis qu'il reprenait son souffle, les mains sur les genoux. Sa gorge le brûlait. Ses poumons étaient en feu. Putain, il avait bien besoin d'exercice. Il n'avait pourtant parcouru que deux cents mètres.

« Il y a eu... Il y a eu un accident... Non... pas un accident... Un type a foncé sur deux personnes... Les a tuées... Il est reparti... Il était dans un Renault Scénic... Ha... haaaa... Il avait... un t-shirt Johnny Hallyday et... et des rouflaquettes. »

Le flic assis sur le siège passager – à gauche pour Silex, donc – passa une langue humide sur ses lèvres adipeuses. Avec sa grosse moustache bien peignée, il paraissait le croisement entre Gérard Jugnot et un membre du groupe Village People. Silex sut tout de suite que quelque chose clochait chez ce représentant de la loi, mais il resta tout de même planté sur le trottoir. Parmi toutes les peurs que ses parents lui avaient transmises figurait celle des forces de l'ordre. Et parmi toutes les valeurs frelatées qu'ils lui avaient refilées ainsi que des MST, le respect dû aux institutions.

« Des rouflaquettes ? Tiens tiens... Racontez-nous ça en détail, mon bonhomme, fit le flic.

– Y avait... Y avait une femme agenouillée au milieu de la route... Un type est arrivé derrière elle... Je crois... Enfin je suis sûr que c'était Monsieur Ravon, mon banquier... et... »

Il se tut. Le moustachu policier tressaillait. Un filet de salive dégoulinait de sa lippe et ses narines frémissaient. Son regard était aussi vide que celui d'un maquereau sur l'étal du poissonnier.

Silex s'avança légèrement. Le flic astiquait avec frénésie un vit ridiculement petit, qui tenait autant de la méduse que du champignon. Il semblait tirer son émoi érotique du contact visuel avec les iris du jeune homme. Son collègue avait lui aussi sorti son braquemart, quoiqu'il se branlait avec un entrain moindre.

« Ben alors ! Continuez ! fit le moustachu, qui tremblotait maintenant comme un parkinsonien. Et après ? Vos lèvres sont magnifiques quand elles remuent. »

Une perle blanche poignit au sommet du phallus du fonctionnaire. L'argousin allait tranquillement envoyer la purée tandis qu'il enregistrait son témoignage ! Silex s'arracha à cette vision obscène et se mit à courir en direction de son appartement. Un instant, il eut peur que les flics ne lui tirent dessus, mais il ne se passa rien. Il ne servait à rien de pousser jusqu'au commissariat. Même les gardiens de la paix et garants de la vertu, les représentants de la Loi des Hommes, semblaient corrompus par le vice et dominés par leurs pulsions. Ce monde n'inversait pas seulement les repères visuels, il affranchissait également ses habitants de toutes les règles édictées par des millénaires de civilisation. C'était aussi fascinant qu'effrayant.

Silex arriva à son immeuble, poussa deux ou trois mauvaises portes et s'engouffra en tremblant dans son logis. Et s'il ne pouvait plus revenir ? Et si ça ne marchait que dans un sens ? Il resterait bloqué éternellement dans ce monde de dépravés, la version gauchie du Pays des Merveilles.

Son image surgit dans le miroir, avec toujours cette lueur malsaine dans le regard et ce rictus au coin du museau. Gageons qu'à ce point du récit, le lecteur éclairé se posera une question qui ne traversera Silex, être superficiel biberonné aux émissions de téléréalité et aux vidéos YouTube infantilisantes, que bien plus tard. Il s'agit de la grande force des clients de thrillers de qualité : dénouer les écheveaux des intrigues époustouflantes des Giebel, des Minier, des Thilliez, des Chattam, ne leur pose aucun problème. Cette sagacité acquise après de longues heures de lecture exigeante les prive un peu, hélas, trop souvent, du plaisir d'un twist final, d'un coup de théâtre, d'une machination ourdie par ces orfèvres du page-turner que goûte le commun des mortels. Telle est la croix portée par ces individus d'une race supérieure : les lecteurs de thrillers.

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